Me vient, devant ces photographies, cette phrase du poète Bernard Noël :
Regarder, c’est d’une part se voir porté à l’intérieur de la vue jusqu’au sujet de son regard, et voir en même temps cette relation répercutée par le sujet jusqu’au fond de nos yeux.

Voilà ce que ces hommes et ces femmes nous permettent de saisir.
Voilà ce à quoi le noir et blanc de ces photographies nous conduit. Alors on réalise que oeuvrer c’est toujours ouvrir la matière à une réalité autre, plus forte, plus dense. Plus réelle. C’est ça le labeur de l’ouvrier. Oeuvrer c’est ouvrir le monde à quelque chose qu’il n’a jusque là jamais connu (pour le pire, parfois). En ce sens, tout ouvrier est démiurge. Et l’on convient qu’il n’y a aucune exagération à évoquer pour chacun des métiers qu’il pratique les «règles de l’art». S’il est vrai que l’art vit dans l’oeil de celui qui le regarde, nous voici tous artistes à regarder droit dans les yeux ces hommes, ces femmes, tel-les que Olivier Pasquiers les a photographié-e-s.

Michel Séonnet, septembre 2022

 

Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"

Les yeux de la main (suite)

Il n’est pas étonnant qu’un photographe comme Olivier Pasquiers, aussi attentif à saisir ce qui fait l’humanité de chaque homme, chaque femme qu’il cadre (chaque arbre aussi, certaines fois), à son insu sans doute, en ait été détourné de son propre objectif. Il voulait photographier des mains au travail. Des métiers. Des savoir faire. Et c’est bien ce que, jour après jour il a fait sur le chantier du château des Tourelles. Mais voilà qu’il nous offre des yeux. De bouleversants regards saisis dans l’intimité de leur relation à l’ouvrage. Il y a là, en effet, dans ce que l’on voit, quelque chose de terriblement intime. On se dit par moment que ce serait pareil de photographier des regards amoureux. Ou bien, dans les tableaux de musée, ceux de quelque saint au moment de l’extase. On voudrait s’incliner. Marquer tout le respect dont on est capable. On approche là de quelque chose de grand. De fort. Au delà du travail, au delà des métiers. Et pourtant quelque chose qui leur ait organiquement lié. Quelle que soit la technicité de l’acte, qu’il s’agisse de manier le balai ou l’ordinateur, de tendre des câbles, combiner des fils, assembler délicatement le verre de vitraux, il y a cette constance qui lie l’oeil à la main. Parce qu’il est la partie visible de l’esprit ? De l’âme peut-être ?